Les 75 ans de Ville Jacques-Cartier
Une occasion en or pour se réapproprier le patrimoine modeste et les identités locales des quartiers de Longueuil.
Entretien avec Carl Lévesque, conseiller municipal du district du Coteau-Rouge et Président de l’arrondissement du Vieux-Longueuil
Par Joëlle Perron-Oddo, administratrice et guide bénévole pour la SHCM
Élever le regard sur ce qui nous entoure dans le quotidien, s’attarder à un bâtiment à l’apparence banale pour en découvrir la riche histoire au détour de son « verso », se questionner sur l’avenir d’une petite maison recouverte de papier-brique, sillonner la « grande courbe » du chemin Coteau-Rouge où se trouvait une ancienne grange, revivre l’enthousiasme des enfants face à une impressionnante glissade hivernale aujourd’hui disparue… voilà ce qui attend les participants des visites de la Société historique et culturelle du Marigot dans le secteur de Coteau-Rouge. Organisées pour souligner les 75 ans de la création de Ville Jacques-Cartier, vaste banlieue ouvrière ayant existé de 1947 à 1969 et dont l’ancien territoire constitue la majeure partie de l’arrondissement du Vieux-Longueuil actuel, ces visitent s’appuient sur des recherches historiques, mais aussi des témoignages d’une grande valeur mémorielle recueillis dans le cadre du projet Ville Jacques-Cartier, haute en couleur. Elles offrent d’explorer in situ le patrimoine modeste, bigarré, coloré et complexe d’un Longueuil qui gagne à être connu et qui témoigne de la débrouillardise et l’ingéniosité des Longueuilloises et des Longueuilois d’hier et d’aujourd’hui.
Ces sujets ne sont pas étrangers à Carl Lévesque, conseiller municipal du District du Coteau-Rouge et Président de l’arrondissement du Vieux-Longueuil. Alors que la Ville de Longueuil annonce qu’elle corrigera une erreur historique et redonnera son nom d’origine au chemin du Coteau-Rouge, nous l’avons rencontré afin de discuter d’histoire et de patrimoine local.
Ancré dans son milieu
Lecteur aguerri et grand voyageur, Carl Lévesque s’intéresse dès son jeune âge à l’histoire et au patrimoine du monde, mais aussi de son milieu de vie à Longueuil. « J’habite depuis 42 ans dans un secteur qui marquait historiquement la frontière entre Longueuil et Ville Jacques-Cartier » lance celui qui se souvient que sa mère le laissait plus aisément jouer du côté du Vieux-Longueuil que dans les secteurs des boulevards Sainte-Foy et Curé-Poirier. « Elle n’avait pas connaissance qu’il y avait eu un mur à une certaine époque. Mais, le quartier lui a toujours paru, instinctivement, en tant que mère, plus sécuritaire du côté du Vieux-Longueuil », raconte-t-il. Sa grand-mère habitait quant à elle sur la rue Dollard à Montréal-Sud. Elle ressentait d’ailleurs un très fort sentiment d’appartenance à cette ville fusionnée à Longueuil en 1961. « Elle ne disait pas qu’elle habitait à Ville Jacques-Cartier ni à Longueuil, mais bien à Montréal-Sud. Avec le temps, toutes ces villes se sont fusionnées, mais j’ai toujours ressenti qu’elle était restée attachée à cette identité ».
Alors qu’il vit de l’intimidation pendant sa jeunesse, Carl Lévesque se réfugie à la bibliothèque de l’école Saint-Jean-Baptiste et plonge dans la lecture. Au fil du temps, il découvre les livres de Michel Pratt, historien spécialiste de la Rive-Sud de Montréal. Plusieurs années plus tard, il raconte son parcours avec reconnaissance et salue la contribution d’une grande Québécoise qui a marqué, indirectement, la trajectoire de sa vie. « Simone Monet-Chartrand avait fait construire cette bibliothèque pour que des gens plus défavorisés s’intéressent à la lecture. A posteriori, je me rends compte que c’était ma situation. On peut donc dire que c’est grâce à Simone Monet-Chartrand que je me suis intéressé à la lecture et à l’histoire », se réjouit-il.
Grand amateur d’architecture, d’histoire, de géographie et de photographie, Carl Lévesque se plaît même à jouer les guides touristiques avec des amis venus d’ailleurs. Il aime parler de Ville Jacques-Cartier et Montréal-Sud et aborde plusieurs anecdotes historiques. « Je leur racontais que la pire catastrophe humanitaire qui a eu lieu à Longueuil fut l’explosion d’un bateau à vapeur sur le bord du fleuve au bout de ce qu’on connaît aujourd’hui comme le boulevard Quinn ».
Un patrimoine pluriel
Qu’est-ce qui caractérise le patrimoine de Longueuil selon M. Lévesque ? Il reconnaît l’importance de lieux emblématiques tels que la magnifique cocathédrale Saint-Antoine-de-Padoue, l’ancien Hôtel-de-Ville de Longueuil, de l’ancien Relais Terrapin et l’ensemble conventuel des Sœurs-Saint-Noms-de-Jésus-et-de-Marie. Cependant, sa vision du patrimoine dépasse les limites du site patrimonial du Vieux-Longueuil. Par exemple, plusieurs lieux qui ont marqué sa jeunesse lui semblent intéressants tels que l’ancien Théâtre Vox avec sa forme demi-circulaire, ou encore l’ancien hôtel de Ville Jacques-Cartier situé à côté de son école.
Le conseiller municipal est aussi fasciné par les anciennes maisons modestes de Longueuil dont les secrets de constructions lui ont été révélés lorsqu’il accompagnait son père menuisier qui avait parfois le mandat de les rénover. « Quand on ouvrait les murs de ces maisons, on trouvait des bas, du papier journal, bref toute sorte de matériaux qui tombaient sous la main des gens quand ils bâtissaient et devaient isoler leur demeure », se remémore-t-il. Grâce aux ouvrages de Michel Pratt, Carl Lévesque apprend comment les maisons et les églises de Ville Jacques-Cartier étaient effectivement souvent réalisées sans plans par de petits propriétaires qui recyclaient parfois des matériaux comme de vieilles planches de bois de wagons de chemins de fer. Plusieurs églises étaient aussi érigées avec des matériaux de seconde main provenant d’anciens baraquements militaires situés à Montréal-Sud à l’emplacement actuel de la Place Longueuil. « Les gens partaient avec les planches de bois et marchaient dans la boue, car les rues de Ville Jacques-Cartier n’étaient pas asphaltées au début » dit-il.
Lévesque est très impressionné par la force des pionniers de Ville Jacques-Cartier qui ont réussi à construire leur maison et à créer un milieu de vie de toute pièce. « Je trouve que c’est une histoire riche qui mérite d’être protégée et gardée. Toute l’affection que j’ai pour le patrimoine ouvrier et modeste vient de là », explique-t-il. Malgré le travail important de la Société historique et culturelle du Marigot et de la Société d’histoire de Longueuil. M. Lévesque déplore que cette histoire ne soit pas assez connue. « Permettre aux gens de se réapproprier l’histoire de leur quartier, c’est important. Fatima, Bédarville, Ville Jacques-Cartier, Montréal-Sud, Le Moyne… il y a plein d’identités locales qui mériteraient d’être mises en valeur. Je ne crois pas qu’on ne l’a assez fait par le passé. C’est certainement une des choses que je souhaite accomplir pendant mon mandat », conclut-il.